MYCOLOGIE   page 5

L’AVORTEMENT MYCOSIQUE CHEZ LA BÊTE BOVINE

Paul-Emile Lagneau.

L’épisode d’un avortement au sein d’une exploitation reste l’une des principales causes de pertes économiques chez les éleveurs de bovins : c’est la perte d’un veau, c’est celle d’une production laitière, ce sont les coûts d’entretien de ces animaux non productifs et, de plus, la cause possible de séquelles ultérieures sur la fertilité.

Parmi les différentes causes de l’avortement, il ne faut pas négliger celles d’origine mycosique. Décrite pour la première fois en 1920 (SMITH), cette pathologie présente une grande différence de fréquence selon les pays et selon les auteurs. Pour déclencher un avortement, les champignons microscopiques peuvent opérer de deux manières différentes :

Ÿ Mycotoxicose ou ingestion d’aliments contenant des mycotoxines issues du métabolisme secondaire d’un certain nombre de moisissures appartenant aux genres Penicillium, Aspergillus et Fusarium. Dans ce cas, la preuve formelle est difficile à établir et l’investigation reste onéreuse pour l’éleveur.

Ÿ Mycose ou prolifération du champignon dans le tractus génital des femelles gestantes, les tissus placentaires avec parfois envahissement du fœtus. Aspergillus fumigatus est le principal responsable des avortements mycosiques et, beaucoup plus rarement, on trouve A. terreus, nidulans et niger. D’autres espèces peuvent être rencontrées comme certaines mucorales : Absidia, Mucor, Rhizopus, Mortierella, des levures du genre Candida ou encore des champignons filamenteux comme Geotrichum, Cladosporium, Pseudallescheria boydii.

L’ingestion d’aliments moisis libère une masse énorme de spores dans l’appareil digestif. De même, dans les étables humides et mal ventilées, la vache inhale continuellement une importante quantité de conidies. A partir de microlésions pulmonaires ou digestives, les spores sont ensuite disséminées par voie sanguine et vont se fixer préférentiellement au niveau placentaire. Il faut savoir que certains micromycètes ont une forte affinité pour les vaisseaux sanguins. Le champignon va alors se multiplier au niveau du cotylédon et ce dernier va produire un plan de clivage entre les surfaces placentaires. Le foetus est alors expulsé avec ou sans ses enveloppes sans qu’aucun signe clinique ne soit décelable.

Pour le praticien, le diagnostic reste difficile à établir mais, cependant, certains éléments épidémiologiques et cliniques permettent de l’orienter. Le fœtus peut présenter des lésions typiques de dermatomycose (50% des cas). On peut observer un aspect rugueux et des lésions gris-jaune de certains cotylédons. L’avortement mycosique se produit en général entre le quatrième et le septième mois de la gestation, il peut survenir toute l’année mais avec une prédominance pour les mois d’hiver doux et pluvieux. A l’autopsie du fœtus, on peut constater la présence de quelques pétéchies à la surface des séreuses abdominales ou péricardiques ; rarement, on trouve des lésions sur le foie, les poumons et la rate.

Au laboratoire, à partir du fœtus et/ou du placenta, on réalise des colorations et des cultures pour la mise en évidence de l’espèce fungique incriminée, mais l’étude de biopsies tissulaires fraîchement prélevées reste la méthode de choix pour visualiser les filaments mycéliens et signer ainsi un avortement mycosique. Comme les bovins sont en contact permanent avec un environnement fongique riche et varié, la détection éventuelle d’anticorps spécifiques via la sérologie ne permet qu’une approche réservée vis-à-vis des résultats.

La prophylaxie consiste en une surveillance constante des aliments, c’est-à-dire l’élimination des denrées moisies et le souci d’une bonne conservation des fourrages dans des locaux bien aérés, désinfectés et exempts d’humidité. Il est prouvé que des conditions climatiques favorables lors de la récolte des foins réduisent fortement le nombre de cas d’avortements mycosiques. C’est la raison pour laquelle leur fréquence varie d’une année à l’autre.